Pierre Arruat, en Indonésie pour appuyer une « mini-révolution » au niveau des villages paysans

Le 4 février dernier, Peio (Pierre Arruat) est parti en Indonésie dans le cadre de la Pépinière, pour appuyer la mise en place du projet DAMARA ou « village de la réforme agraire » de notre partenaire KPA (Konsortium Pembaruan Agraria). Dans cette interview il nous en explique l’objectif, les avancées et les obstacles à franchir pour le concrétiser.

Un peu plus d’un mois s’est écoulé depuis ton arrivée à Jakarta. Comment avance-t-il le projet ?

Mon approche consiste à ne pas travailler pour KPA mais avec KPA. L’agenda de l’organisation évolue tout le temps car il y a de conflits agraires sur tous les fronts et les membres sont débordés. J’ai passé, donc, mon premier mois à m’inclure dans leur agenda et à construire ma stratégie d’approche d’une façon plus humaine. Je cherche à créer des liens forts entre nous et je participe à toutes les réunions. En ce moment, KPA est impliqué dans l’organisation du Forum global sur la terre, en lien avec son partenaire International Land Coalition (un réseau de plus de 600 membres). Dans ce contexte, il est un peu difficile de faire avancer le projet DAMARA mais mon objectif reste celui de définir une guide line, une directive, pour fin mars. Je dois la rédiger avec la secrétaire générale et je me suis intégré dans son agenda pour qu’on y travaille ensemble au fur et à mesure.

Quelle est ta place au sein du projet ?

Je suis un facilitateur du projet de KPA, ensuite il sera mis en place par le département de renforcement d’organisation qui est en train de se structurer. Je suis aussi formateur et j’anime des formations auprès des futurs formateurs des populations concernées par « le village de la réforme agraire ».

Justement, est-ce que tu peux nous expliquer plus dans les détails de quoi s’agit-il « le village de la réforme agraire » ?

Ce projet-là est une véritable mini-révolution. Lorsque les paysans subissent l’accaparement de terres ils se considèrent en tant que des « victimes » et le but du projet est d’en faire des militants pour qu’ils soient acteurs de leur changement. Ce projet est une idée de KPA née il y a plus de six ans et qui n’a jamais été réalisée. Il n’implique pas d’avoir le même type de village (de la réforme agraire) partout - ce n’est pas un modèle à implanter - mais plutôt d’avoir la souveraineté de la communauté partout. Il faut qu’il s’adapte à la culture du village et que les villageois y croient afin qu’ils construisent leur propre village. Les villages concernés par DAMARA ont des syndicats paysans bien formés car il faut qu’il y ait une base solide. Cela inclut 14 villages dans 7 lieux différents à Sulawesi où sont en cours des conflits agraires.

Quelles sont les conditions des paysans dans les zones de conflits agraires ?

La terre ne leur appartient pas. Partout en Indonésie, la terre appartient à l’Etat et il y a un problème d’accaparement de terres parce que le gouvernement local vend des terres là où vivent les gens. C’est un système qui est aveugle mais qui est aveugle consciemment. Par exemple, dans les plantations de thé, les paysans sont complètement esclaves de la plantation. Leur maison ne leur appartient pas et le revenu dépend essentiellement du travail dans la plantation : s’il n’y a pas de travail il n’y a pas de quoi manger. C’est cruel et les gens sont dans une vulnérabilité extrême. Dans ce contexte, le projet DAMARA ne vise pas seulement la sécurité de la terre mais également l’accès à la terre. Il envisage un certificat de propriété pour les paysans mais aussi que les personnes puissent vivre dans leurs terres, qu’ils y ont un avenir et qu’il y ait une production significative, autosuffisante et diversifiée pour inclure tous les membres de la communauté quitte à n’avoir pas d’exode rural.

Est-ce qu’on remarque une volonté de changement au niveau du gouvernement ?

Au niveau national, depuis l’élection à la présidence de Joko Widodo, il y a une promesse de redistribuer entre 9 et 12 millions d’hectares de terre mais cette distribution n’aide pas la résolution de conflits. Elle se fait dans des territoires où il n’y a pas de besoin et on peut carrément la traiter de façade. Aujourd’hui, des leaders de pas mal de localités des îles de Java et de Bali, se sont rassemblés pour identifier les lieux prioritaires où la distribution doit se faire et ces zones concernent à peine 40 000 hectares.

Quel est le majeur obstacle au combat de KPA ?

On se bat contre un système fait de corruption, violence… Il ne faut pas croire que les entreprises se laissent facilement occuper les terres. Il y a des pressions de la part des militaires, de la police. Parfois ils envoient même des mafias locales. Cette année il y a eu entre 200 et 300 personnes criminalisées et 13 morts. L’indemnité que l’Etat offre en contrepartie est souvent misérable. Elle ne permet pas d’acheter des terrains ailleurs… et puis la terre c’est leur histoire, leur patrimoine, c’est tout et on vient l’exproprier, pourquoi on devrait l’accepter ?

Quel est ton programme pour les prochains mois ?

Je veux réussir à visiter tous les villages sur l’île de Sulawesi concernés par le projet et y rester pour faire des formations sur la réforme agraire et sur le village de la réforme agraire. Je vais faire le tour des villages par type de conflit agraire : structure, propriété, plantation etc. et je veux en tirer à chaque fois des mini-reportages et des dossiers. Je voudrais aussi sélectionner de futurs facilitateurs pour les prochaines étapes de mise en place du projet.

Tu communiques régulièrement sur ton blog à travers des articles sur le contexte et les actions de KPA, mais tu as aussi une rubrique « poésies ». Pourquoi as-tu jugé important de l’intégrer dans le blog autour du projet ?

La poésie fait partie de moi et l’art aussi est un acte de résistance. C’est une autre forme d’arriver aux gens et j’espère que cela puisse les inspirer. La lutte, c’est aussi beaucoup d’inspiration.

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